• Chapitre II    Armelle Déméos

     

     

    Alors que j’entrais dans mon lycée, des voix s'élevèrent. Moi qui aimais passer inaperçue et me fondre dans la masse, c'était raté. Pourtant, surtout aujourd’hui, j’avais fait en sorte que l'on ne me remarque pas : gilet noir, slim noir, maillot noir manches longues,... Même mon sac couleur châtaigne ne faisait aujourd'hui pas ressortir mes yeux marron noisette, comme le ruban blanc-cassée qui attachait mes cheveux noirs ondulés. Non, franchement, je ne comprenais pas.

                Un garçon de ma classe, Samuel, s'approcha de moi, un petit sourire aux lèvres qui accentuait son air squelettique. Cette imbécile ne pouvait pas s’empêcher de me pourrir la vie, surtout depuis que je j’avais montré aux autres qu’en plus d’être bête il n’était pas foutu de faire son business de cocaïne et autres drogues discrètement. Il avait voulu m’en proposer « gratuitement si je faisais ce qu’il désirait » car « j’avais une bonne tête ». Bien évidemment j’avais, en plus d’avoir refusé, mis à la lumière et sans le vouloir son petit commerce. S’adresser comme ça à la fille d’un père flic et d’une mère procureure, c’est quand même assez suicidaire comme tentative.

    Il parla assez fort pour que tout le monde entende:

                _Mais que vois-je donc !! Ma chère Armelle, puis-je désirer vous voir ce soir afin que nous aillons une petite conversation sur notre avenir ensemble, ou allez vous me frapper et me tordre le cou comme à la pauvre personne qui vous a demandé de passer une nuit en votre compagnie ? D'ici cinq mois il pourra espérer sortir de l'hôpital.

    J’aurais voulu qu’il ne soit pas au courant de ça. J’avais pourtant fais jurer à ce neuneu de mec de ne pas en parler autour de lui, au risque que je lui casse un bras. Il fallait croire que ça n’avait pas servi à grand-chose. Restait maintenant à me défendre de manière pacifique, car la violence ne résolvait rien.

                _Va lui proposer un rencard s'il t'intéresse à ce point.

                _Très chère, je préfère largement informer de votre comportement tout l’établissement  afin que peut être vous vous sentiez coupable !

               C'est vrai, le pacifisme, avec cette individu, ça sert à rien. Il se moque de moi depuis trop longtemps, il serait peut-être temps de lui remettre les pendules à l’heure. Je m’agenouillais rapidement, tendis la jambe droite et tournais de manière à faire un croche-pied à Samuel qui, n'aillant pas eu le temps de réagir, tombait et se fracassait la tête de plein fouet sur le bitume.

             Le passage libéré de la présence de Samuel que j’abandonnais aux railleries de la cour, je me dirigeais vers les casiers où je trouvais Maya; l'éternelle bavarde, et Lia, l'éternelle silencieuse. Bien qu'elles soient sœurs, et jumelles en plus, elles ne ressemblaient pas pour autant: seuls leurs yeux gris arboraient la même teinte. Pour ce qui était des cheveux, Lia était blonde vénitienne tandis que Maya était rousse.

                Maya vint vers moi, suivit de près par Lia, tout sourire aux lèvres, contente d'avoir trouvé une nouvelle victime à qui raconter les derniers potins qui pour une certaine majorité d’entre eux me concernaient.

                _Armelle! T'es au courant que toute l'école ne parle que de toi?!!! Comment t'as fait pour envoyer ce mec à l'hosto?

             Je me renfrognais : ça faisait plusieurs mois que le lycée ne parlait que de moi depuis la petite histoire avec Samuel, comment je pourrais ne pas être au courant ? Le moindre de mes faits et gestes étaient retransmit en direct, rien d’étonnant à ce que tous sache pour la petite bagarre d’hier. Maintenant ça allait être au tour de la rumeur « Samuel piétiné par Armelle », et pour la énième fois j’allais avoir droit à des regards en biais alors que je ne demandais que la tranquillité. Pourquoi les gens venaient-ils toujours me chercher des ennuis? J’avais toujours été quelqu’un de calme et résonnée, alors pourquoi fallait continuellement qu’il y ait une personne pour venir rajouter des ennuis à ma vie qui pourrait être si calme?

    Devant l'insistance de Maya pour avoir le fin mot de l’histoire, ce qui commençait à devenir du harcèlement, je lâchais :

                _C'est du passé, j'ai du nouveau: Je viens d'écraser Mickaël, au sens propre du terme.

                Ça, c’était dit. Désormais Maya allait remplir merveilleusement bien sont rôle de commère. Lia ouvrit légèrement les lèvres, comme pour montrer son étonnement, tandis que Maya perdait sa mâchoire et restait figée. Je failli croire qu’elles n’étaient pas au courant que je ne le tenais pas dans mon cœur et qu’un jour je lui dirais ses quatre vérités. Maintenant c’était fait. Sans un mot, je les regardais, puis parti, bientôt suivi par les deux sœurs. La sonnerie retentit alors, et nous nous dirigeâmes vers la gigantesque cours arrière de l'école où se déroulerait le cross dans quelque instant. Monsieur Léandre, notre professeur de sport, un grand blond athlétique, s'occupa de redire rapidement tout ce qui avait déjà été vue en cour: 3 kilomètre à courir pour les secondes et 3,5 kilomètre pour les premières. À la clé les mêmes chocolats chauds sans sucre, ni chocolat d'ailleurs, ainsi qu'un des vieux croissants de la cantine dont personne ne voulaient. Bien évidemment le cross était noté, rien de plus normal, mais il était aussi placé, comme tous les ans, un jour de pluie. Maya ne peut s'empêcher de le faire remarquer. Enfin, Monsieur Léandre nous laissa partir nous échauffer tandis que les élèves du primaire Sainte Sitrine ainsi que le collège arrivaient. Tous se rassemblait autour du gymnase pour se mettre à l'abri de la pluie, d'autre commençaient leur entrainement, tandis que les CM1 se rangeait devant le départ, sous le regard attentif de leurs parents. Je m’en allais, accompagnée des jumelles, me changer.

                Une fois sortit du vestiaire, je m’étirais dans une tenue au ton kaki militaire, parfaite pour le camouflage. Maya et Lia étaient habillées avec un pantalon noir et un débardeur vert forêt. Maya sortit un mouchoir de son pantalon, puis, entre deux étirements qui lui faisaient poussée des cries de douleur, se mouchait. Lia peinait en silence. Je les observais, ayant fini depuis longtemps. Maya en mile morceaux, envoya dans un dernier élan :

                _ J'ai fini!

                Lia et moi n’eûmes aucune réaction, ce qui ne fit qu’agrandir la grimace sur son visage.

                _Hé! Oh! On peut m'applaudir! C'est trop demander? Je suis malade, si vous n’aviez pas remarqué, alors déjà que j’honore de ma présence ce fichu cross, je pourrais au moins avoir le droit à quelques applaudissements !

                _Sans vouloir te décourager, commençais-je d'une voix monotone, le pire reste à venir. Malade ou pas, nos 3 kilomètre à courir ne vont pas s'envoler.

                Avec l'approbation de Lia, nous partîmes vers la ligne de départ où notre niveau venait d'être appelé. La pluie se faisait plus forte, pas suffisante pour arrêter le cross selon les professeurs, mais suffisamment pour faire déguerpir la bande de parents dont les enfants étaient déjà passés. Maya fixa un instant sa jumelle dont le visage était couvert de gouttes d'eau, puis moi, comme pour me supplier d'arrêter ce bordel inutile qu'était cette course. Mais rien ne se passa. Qu’aurait-elle voulu que je fasse ? Un homme vérifia que toutes les filles de seconde étaient en ligne, et le départ fut donné. Je démarrais en trombe, évitant chacune des filles qui tombaient devant ou à côté de moi à cause de la pluie, et pris déjà de l’avance. Un immense flot de personnes courant dans la même direction traversa le terrain en suivant le chemin indiqué par de faux panneaux pendant que les haut-parleurs ordonnaient au personnel médical d'aller voir les quelques élèves tombés lors du départ.

               

                J’étais première, suivit de loin par Maya et Lia. Je passais devant le gymnase bondé de premières n'attendant que leur tour pour partir, puis devant la friterie transformée en buvette s'amassaient tous les quatrièmes et troisièmes trempés qui prenaient leurs faibles récompenses.

                Enfin j’arrivais dans la petite forêt, c’était une nouvelle règle: "Afin de compléter leur scolarité, les élèves devront courir dans le petit bois.". Maya avait rit un bon coup en croyant à une blague, puis s'était figée avant de pester contre cette établissement, je cite: "de merde. Il aurait du mettre: "nouvelle règle: afin de compliquer leurs scolarité, les élèves devront souffrir dans le bois !". Toute la cour avait rit.

     

                La pluie battait tellement fort les feuilles des arbres que l'on aurait dit de la grêle. Des seaux d'eau gelés nous tombaient dessus. La boue enlaçait nos pieds, et nous devions être rapatriées par les dirigeants du cross afin de l'arrêter. Tous les haut-parleurs disaient hauts et forts de rentrer en classe. Seulement Maya, sa sœur et moi nous étions perdues et trempés jusqu'aux os. Nous nous étions enfoncées dans "l'immense forêt" qui jonchait l'école. J’avançais péniblement, essayant de retrouver le chemin. Les hauts parleurs c’étaient arrêtés avant que nous puissions savoir d’où venait le son, ou alors nous étions nous trop éloignés pour encore les entendre. J’observais chaque arbre, essayant de reconnaître quelque chose qui puisse nous indiquer où nous étions, où aller. Je regardais partout et dans tous les sens afin de peut-être apercevoir un des panneaux du cross. Les sœurs derrières moi avaient depuis longtemps arrêté de courir. Je trottinais encore, mais m’arrêtais aussi, aller dans tous les sens ne ferais que me fatiguer. Peine perdu. Lia et Maya, frigorifiées, s'étaient blotties l'une contre l'autre, espérant que le peu de chaleur restant dégagée par leur corps suffiraient à les réchauffer, ne serrait-ce qu'un peux. Inutile, Lia toussa comme un chien battu. J’enlevais mon épais gilet noir et le lui passa autour des épaules, ne laissant que sur moi un débardeur. Lia protesta ce qui fit continuer sa toux:

                _Mais, et toi Armelle ?!

                _Ne vas pas tomber malade. Moi je peux résister.

                _Mais!...!

                Nouvelle quinte de toux.          

                _Pas de mais. Essayes plutôt de retrouver la route.

                Je marchais devant elle, en tentant de mémoriser quelques arbres, plantes ou rochers, tout ce qui pouvait m’aider à me repérer. Des Sureaux, un grand Bouleau. Maya s’arrêta, le regard fixée sur un sapin imposant. Je lui criai d’avancer, elle revint un peu à la réalité. Lia, toujours à coté d'elle, la secouait doucement.

     

    Je ne sais pas exactement combien de temps passa, peut-être sept heures, peut-être dix, mais le ciel gris laissa place à un interminable nuage noir trouble. Un coup de tonnerre se fit entendre, la pluie déjà importante s’intensifia, nous empêchant de voire plus loin qu’à trois mètres. Je vis ma peau devenir presque bleue ; mes doigts rougir, je me frottais les bras pour ne pas trop greloter. Excédée, l’aînée des jumelles s’énerva :

                _ Les professeurs devraient avoir envoyé une équipe nous chercher!

                _ Ne rêve pas Maya, le temps qu'ils se rendent compte que l’on n’est pas là, on y passe. Leurs trombinoscopes doivent être trempés, les filles qu'ils ont récupérées aussi. Déjà qu’il leur faut beaucoup de temps pour nous rendre une copie, alors ne t'attends pas à ce qu'ils nous retrouvent tout de suite!

                _Merci d'être positive, Armelle !

                _Maya, tu es une grande fille maintenant, t'as plus cinq ans, alors je pense que je peux te montrer la vérité, celle où l'on est dans la merde!

                _Ouai ben la prochaine fois, tu penses à nous dire combien de temps on pourra tenir sans nourriture !

                _Merci d'être positive Maya!

                _Au moins on ne manque pas d’eau, sourit Lia.

                Une ambiance mortuaire s'abattit. Nous marchâmes sous une pluie toute aussi glaciale que le silence imposé. Les heures défilèrent, et au ciel déjà noir d’orage s’ajouta la nuit. Complètement perdues, j'entendis le ventre de Maya gronder. La pluie ne s’était pas calmée, nos vêtements ressemblaient à des éponges, le tonnerre retentissaient fréquemment, nous ne voyions rien à deux mètres tellement il faisait sombre.  Lia, épuisée, commençait à boiter à cause de ses nombreuses chutes. Elle se prit les pieds dans la racine d'un arbre et s’écroula dans le sol boueux, suivit par Maya qui tomba à coté d'un arbre.

                _Lia ! Maya !

                Je courus les rejoindre, faillis glisser et m’agenouillai devant Lia.

                _Lia ! Debout ! Allez ! Maya, lève-toi !

                Lia pleura, je la forçai à se relever, puis partis voir Maya, livide. Je passai un bras sous les siens, la forçant à se tenir debout. Tandis que je l’encourageais, Lia, arrivée à mon niveau, s’effondra de nouveau, nous entrainant dans sa chute. La tête dans la boue, je m’en dégageais et pus sentir plusieurs blessures sur mes bras et mes jambes. Je me détournais de ces égratignures pour voir Lia accroupit à côté de sa sœur, la terreur peinte sur son visage. Je m’approchais d’elles, regarda Maya, trempée et fiévreuse. Le déluge ne s’arrêtait pas, et l’orage ne semblait pas vouloir s’éloigner. Je cherchais autour de moi où nous abriter, mais rien que des arbres à perte de vue. Je décidais de continuer à avancer. Je pris Maya sur mon dos et força Lia à se remettre à marcher. Nous n’avancions que trop peut, je n’eus d'autre choix que de m'arrêter sous un sapin. Lia s’assit, puis vint m’aider à poser Maya à coté du tronc le plus délicatement possible. Le sommeil était notre ennemi, mais nous étions beaucoup trop épuisées pour lutter contre. Les deux sœurs, épuisées, s’endormirent côte à côte. Le vent froid nous fouettait le visage. Je veillais sur elles, avec la ferme conviction que Maya ne voudra plus jamais refaire le cross en étant enrhumée, si ce n’était plus jamais. Gelée, je luttais pour ne pas m’endormir.

               

                Le ciel foncé disparut en emportant avec lui la lune. Un mince trait jaune apparut dans le ciel colorant les nuages. Le soleil matinal fit apparaître la rosée, le vent sifflotait entre les feuilles. Le Soleil me réchauffa un peu, puis disparu aussi vite que venu, laissant s’amasser d'énormes nuages noirs. Je somnolais, allongé à coté de mes deux amies. Je me penchais vers elles afin de les sortir de leurs songes et ainsi pouvoir reprendre la route, mais je ne le pus. On me tira par derrière, comme attirer par autre chose. Sans que je ne puisse bouger, je me retrouvais dans le noir.

     

     

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